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7eme Chance

Nous devons descendre à deux tonnes en 2050

5 Janvier 2022 Publié dans #Energie

De Loic Giaccone, 7 Nov 21.

"Nous devons descendre à deux tonnes en 2050" : vous avez probablement lu, entendu, voire répété cet objectif. Un twitto a publié un thread instructif sur ce chiffre, qui pose problème : https://twitter.com/pimarty86/status/1456585051488018436

Afin de compléter ce fil, il est intéressant, et important, de revenir sur les calculs qui permettent d'arriver à ce chiffre. Tout d'abord, il n'est pas officiel : la SNBC ne mentionne pas - encore - d'objectif d'empreinte carbone. Il y a quelques temps, j'avais tenté de comprendre d'où il provenait, et sous quelle méthodologie. 
Une première source est un calcul très théorique pour le CO2 uniquement, divisant le budget carbone restant pour +2 °C par la population mondiale actuelle et future jusqu'à 2100 : https://ree.developpement-durable.gouv.fr/.../l-empreinte.... Le résultat donnait 1,6 à 2,8 tCO2/an/personne. Sauf que, ce n'est pas un objectif à atteindre (et donc, sans échéance). Cela permet juste de comprendre l'inégalité de la répartition des émissions (inter et intragénérationnelle). 

Une seconde source est l'atelier 2tonnes. Un membre de l'équipe m'avait partagé leur méthodologie : ils ont calculé, d'après les données du rapport 1.5 du GIEC et au niveau mondial, le moment où l'on devrait être à 2 tonnes (tous GES), par personne et par an, pour respecter +1,5 °C. Cela donne 2050. Deux choses cependant : ce n'est pas un objectif final (la courbe continue de descendre ensuite, avant de passer en négatif), et surtout, c'est un objectif "brut" et non "net". C'est-à-dire qu'une partie de ce chiffre doit être capturé, précisément la part de CO2, puisque d'après le rapport 1.5, nous devons être à la neutralité carbone en 2050. La neutralité carbone, pour le CO2 seulement donc, et la neutralité climatique, pour tous les GES, sont deux choses distinctes (dans les scénarios, la neutralité climatique est atteinte environ 20 ans après la neutralité carbone). Dans leur calcul, la part du CO2 équivaut à environ 1,2 tonnes. Ce qui fait, à partir de leurs projections de population, autour de 11 milliards de tonnes à capturer en 2050. C'est logique, car ils ont pris une moyenne sur les scénarios du rapport pour évaluer le niveau de capture. 

Le problème, c'est que le même rapport émettait des réserves quand au potentiel de capture : "Au milieu du siècle, selon les dernières publications scientifiques, les limites supérieures de ces fourchettes [de capture dans les scénarios] sont supérieures au potentiel de la BECSC, dont la limite supérieure est de 5 GtCO2 an-1, et au potentiel du boisement, dont la limite supérieure est de 3,6 GtCO2 an-1 (degré de confiance moyen)" (C.3.2 : https://www.ipcc.ch/.../09/SR15_Summary_Volume_french.pdf). Le rapport spécial sur les terres émergées mentionnait également les problèmes éventuels dus à l'utilisation des terres pour la capture : "A l’échelle requise pour atteindre un niveau de capture de carbone de plusieurs GtCO2 an-1, cette demande accrue en conversion pourrait avoir des effets secondaires indésirables sur l’adaptation, la désertification, la dégradation des terres et la sécurité alimentaire (degré de confiance élevé)." (B.3 : https://www.ipcc.ch/.../sites/4/2020/06/SRCCL_SPM_fr.pdf). 

Une troisième source est le rapport sur l'empreinte du Haut conseil pour le climat, qui présente des objectifs potentiels d'empreinte carbone, avec 2,3 tCO2eq/an/pers en 2050 pour +1,5 °C (tableaux 2 et 3 : https://www.hautconseilclimat.fr/.../hcc_rapport...). La méthodologie est similaire à l'atelier : établie à partir des trajectoires du rapport 1.5, c'est un chiffre en émissions brutes. Dans cette méthodologie, il y aurait 8,8 milliards de tonnes capturées en 2050. 

Vous commencez à voir le problème ? Aujourd'hui, les émissions capturées par les puits anthropiques ne sont pas significatives par rapport à nos émissions, qu'elles soient nationales ou en empreinte. Cependant, la trajectoire (française) induit que les deux chiffres doivent devenir égaux, pour tous les GES, en 2050 (ce qui "bien" climatiquement, et très ambitieux). En fait, en France, techniquement, nous devrons être à zéro au niveau des émissions nationales à cette échéance, tous GES compris. Les émissions importées, quel que soit leur niveau, devront être en grande partie capturées (par qui ?). Les 80 millions de tonnes CO2eq prévues par la SNBC seront elles, dédiées à certains secteurs seulement, agriculture et industrie essentiellement (voir la figure 3 de la synthèse pour le détail de la répartition des émissions et de la capture en 2050 : https://www.ecologie.gouv.fr/.../SNBC-2%20synthe%CC%80se...). Les postes principaux de nos empreintes personnelles, en particulier le transport et le logement, devront être quasiment à zéro (figure ci-dessous, tirée de la SNBC complète, p. 32 : https://www.ecologie.gouv.fr/.../2020-03-25_MTES_SNBC2.pdf). 

C'est pour cela que j'ai beaucoup de mal avec cette idée de "il faut descendre à deux tonnes". En fait, je préfère dire qu'il faut descendre à zéro. Plus on descendra "bas", moins il y aura à capturer. Et la capture, dans des ordres de grandeur de plusieurs milliards de tonnes par an, repose sur des développements à grande échelle de mesures qui risquent de poser un certain nombre de problèmes (d'usages des terres, de ressources, etc.). De plus, même si on vise deux tonnes, ce n'est qu'une étape : derrière, la baisse se poursuit, et dans la plupart des trajectoires (sauf certaines qui limitent la consommation d'énergie : https://www.nature.com/articles/s41560-018-0172-6), la fin du siècle se fait en émissions négatives... Enfin, cela permet de faire prendre conscience de l'importance et l'ampleur de la décarbonation totale des différents secteurs qui composent nos empreintes carbone actuelles. 

Pour résumer, lorsque l'on se trouve face à un chiffre d'objectif d'émissions futures, il faut toujours regarder : 
- Pour quel objectif climatique (+1,5 °C ou +2 °C),
- Quel spectre d'émissions (CO2 ou tous GES), 
- A quelle échéance se situe-t-on (2050 ? 2070 ?),
- Quelle zone (monde, pays ?),
- Pour un pays particulier, est-ce un chiffre en inventaire national ou en empreinte carbone ? Le pays a-t-il une trajectoire inscrite dans la loi ?,
- Dans les deux cas, le chiffre est-il en émissions nettes ou brutes ?, 
- Quel est le niveau de capture retenu dans le calcul ?,
- Quelle est la "suite" de la trajectoire (stabilisation ou poursuite de la baisse, émissions négatives, etc.) ?.

Nous devons descendre à deux tonnes en 2050
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